Anti Somewhere League

Puisque l’ami Aymeric nous y invite, continuons donc notre petite analyse de la relation des français avec leur identité socio-culturelle. Aujourd’hui : la part prépondérante de la composante socio-professionnelle dans notre façon de nous présenter.

La carte de visite comme horizon identitaire

Lorsque j’habitais Londres, j’étais régulièrement surpris par la façon de se présenter des professionnels ou relations qu’il m’était donné de rencontrer. Ainsi mon épatant collègue, Andy, chic type parmi les nice lads : “Hi I’m Andy I’m from Middlesborough and I support Boro FC”. L’identité se décline avec le nom, l’origine géographique, et (particulièrement chez les Lad’s) le club de foot.

Cette définition régionaliste et culturelle révélait un contraste particulièrement saisissant avec celle de congénères expatriés qui se présentaient eux par leur nom, leur fonction professionnelle, leur employeur, et (bien souvent) le nombre de personnes sous leur responsabilité. Une définition sociale.

En y réfléchissant, cela permet de comprendre un peu mieux ce rapport passionnel et épuisant , à notre occupation professionnelle : elle est la composante la plus importante de notre identité. En outre, cette self-definition illustre par ailleurs l’absence terrible de fluidité dans notre société où les professionnels changent bien moins de métier ou de secteur d’activité durant leur carrière que dans d’autres pays.

(Ainsi, la responsable de notre entité de développement informatique à Londres était diplômée en littérature française, une autre collègue en philosophie : situation invraisemblable de ce côté-ci de la manche). Notre métier : nous y sommes formés durant nos études et nous le conserverons toute notre vie : il nous définit d’autant mieux.

L’élite est entrée sans prévenir

Depuis le cadre supérieur, qui se définit par l’importance capitale de sa mission professionnelle, jusqu’à l’artiste underground orientant sa démarche en opposition systématique aux grandes lignes de la société ( l’anti-ceci ou l’anti-cela – qualificatif traditionnel utilisé par les magazines branchouilles – Technikart en tête – pour définir les artistes “incontournables”), en passant par l’océan des professionnels de la société du spectacle (population qui a explosé durant ces 20 dernières années comme l’explique fort bien Pierre Michel Menger dans son ouvrage) on retrouve ce même soucis d’une occupation professionnelle remarquable.

Cela bien entendu pour s’affirmer à la face du monde libre en tant qu’individu remarquable. Et aussi comme une tentative de rejoindre, ou tout au moins approcher, cette élite avec laquelle on entretient une relation violemment ambivalente, justement identifiée par Jacques Attali : (…) la jalousie qu’inspire cette élite que l’on veut à la fois décapiter et infiltrer.

(Tentative vouée à l’échec en raison a) l’hyper-concentration des pouvoirs de la société du spectacle.fr dans quelques quartiers parisiens et b) de la sur-représentation des mêmes classes sociales dans l’antichambre des élites (classe prépa/hautes écoles) mais il s’agit déjà ici d’un tout autre débat).

Generation me, myself and I

Mon sentiment : inscrire son identité dans un positionnement social plutôt que dans un enracinement culturel, pacifié et naturel  me semble une approche malsaine et anxiogène. J’ai déjà évoqué cette étrange relation que l’on entretient avec le rôle de la nationalité dans l’identité – (en italique pour ne pas être suspecté de projeter l’invasion de la Pologne).

Un paradoxe sublime : notre goût.fr prononcé pour la culture populaire anglaise (musique, vêtements, football, etc…). Une culture enracinée dans la fierté working class, une culture de l’appartenance, du Nous prévalant sur le Je. Une culture, que dans un de ces tours de passe-passe sociétal dont nous avons le secret, nous nous approprions comme attribut social différentiateur. Quiconque a déjà vu cet air méprisant dans le regard d’une jolie parisienne arborant un t-Shirt de The Smiths sait de quoi je parle.

Dans Generation Me, Jean Twenge explique comment les valeurs inculquées à leurs enfants par les baby boomers révolutionnaires (être en phase avec ce que l’on désire, ses propres croyances et ce que l’on veut être) a eu comme conséquence directe un individualisme forcené de ces derniers. L’aptitude révolutionnaire particulièrement développée des baby-boomers.fr semblant avoir décuplé l’individualisme produit.

Auto-enivré par notre égo surdimensionné, nous nous désolidarisons de nos racines, nous craignons plus que tout d’être absorbé par la masse ; nous détournons la culture populaire pour se l’approprier comme attribut différentiateur dans l’espoir d’infiltrer l’élite : ne demeure que notre misérable orgueil professionnel pour y accrocher un semblant d’identité. Un bien triste sort.

2 Comments

  1. Lu chez Grunberg et Laïdi : il s’agit d’un autre héritage des Lumières, le principe d’émancipation. Principe qui consiste à arracher les individus à leurs traditions et leurs cultures pour les émanciper, c’est à dire les libérer.

    Je suis plutôt d’accord avec le principe d’émancipation envers les traditions (ennemis jurés du changement). Je suis beaucoup plus circonspect pour ce qui touche à la culture.

Leave a comment