Innovation : définitions, mythes et management

(English version)

Dans la présentation Entreprise 2.0, je consacre quelques slides à la définition où plutôt à des définitions de l’innovation. L’objectif est de faire apparaître un certain nombre de leviers qui, lorsqu’articulés intelligemment, contribuent à son émergence.

Ce post a été développé suite à de longues discussions animées avec des collègues de R&D qui réduisaient l’innovation à la seule maîtrise technologique. Et les recherches subséquentes ont à leur tout inspiré le chapitre Innovation de la présentation.

L’impeccable Scott Berkun (again and again !) a été une source d’inspiration constante. Scott nous conduira à travers ce billet avec cette vidéo de la conférence brillante qu’il a donnée sur le sujet @ Carnegie Mellon (50minutes). (Lire le  billet d’abord !)

En guest stars : Brad Bird (Pixar), Steve Jobs, Douglas Merrill (Google), Linda Naiman, DHH (37Signals), Kathy Sierra, etc …

Innovation: définition

La plus satisfaisante que j’ai pu trouver, après quelques jours de recherche acharnée (à temps partiel, hein).

L’innovation est le processus qui traduit la connaissance en croissance économique et en bien-être (Autralian Research Council)

Innovation = Résolution de problèmes

Dans les recherches interminables du Graal de cette définition,  j’ai remarqué que de nombreuses personnalités corrèlent cette définition avec le paradigme du problème : Si vous voulez innover, ne cherchez pas de solutions, recherchez un problème (P. Graham @ StartUp School 08)

Proposition à laquelle fait écho le CIO Google : Pour innover, partez d’un problème, pas d’une solution (Douglas Merrill – Innovation at Googlece Douglas Merrill me fait vraiment penser à une version Silicon Valley de Quentin Tarantino – rapide, agité, excité).

Scott Berkun sur Harvard Business étend cette définition tout en expliquant pourquoi l’innovation est surestimée : les inventeurs, les créateurs et les leaders (…) utilisent rarement  ce terme eux-mêmes. Leur vocabulaire s’appuie plutôt sur des mots tels problème, expérimentation, risques, prototype.

Sans oublier David Heinemeier Hansson (l’inventeur du framework Ruby On Rails) @StartupSchool08 : Une bonne innovation provient souvent de la résolution de problèmes simples auxquels vous êtes intimement liés.

Innovation = un excellent produit

Une autre tendance forte au sein de ces e-personnalités, est que l’innovation est le résultat naturel d’un bon produit :

Au lieu de se demander «Comment pouvons-nous faire preuve d’innovation”, une question surfaite ne proposant que des réponses vagues pour la plupart inutiles, nous devrions nous demander «Comment pouvons-nous faire de grandes choses” (Scott Berkun)

Cette notion de bon produit doit être une aspiration commune pour les personnes impliquées dans le processus de réalisation : Q: Comment gérez-vous l’innovation. R: Nous recrutons des gens qui veulent faire les meilleures choses dans le monde (Steve Jobs).

Un excellent produit ne peut être que le résultat d’une vision, d’une stratégie, et d’une grande application à la réalisation de choses précises. Ainsi Steve Jobs répondant à  Business Week : L’innovation vient de la capacité à dire non à 1000 choses pour s’assurer que l’on ne part pas sur la mauvaise piste ou que l’on n’essaye pas d’en faire trop

Et ce produit/service doit apporter un avantage concurrentiel et des dollars :

L’innovation n’a de valeur que la valeur commerciale qu’elle a créée (D. Merrill). Innovation: un moyen pour obtenir un avantage concurrentiel en répondant à un besoin des entreprises (Erwann Neau)

Innovation = les conditions de la totipotence

L’émergence est une des tendances essentielles de l’entreprise 2.0, pour sa formidable aptitude à laisser advenir l’innovation. Nul n’a défini cette relation directe mieux que Michel Serres :

Lorsque notre ancêtre quadrupède s’est relevé pour devenir un bipède, il a perdu la vitesse et l’agilité que lui offraient ses quatre membres moteur. En contrepartie il a gagné un formidable outil : la main. Celle-ci, à son tour, a soulagé le museau de ses fonctions de préhension. En libérant la bouche de cette responsabilité, l’évolution offrait un espace propice à l’apparition du langage. L’innovation : des conditions qui laissent advenir la totipotence. (De l’Innovation – conférence)

Innovation = collaboration

Dans le rapport sur l’innovation, (bien fait quoi qu’institutionnel et coincé, ainsi n’y trouve-t-on aucune référence au logiciel libre !) Pascal Morand et Delphine Manceau expliquent que l’innovation est de trois types (Technologie, Usage, Usage+Technologie) et s’applique sur trois axes :

  • l’offre (produit et services)
  • le processus
  • le modèle économique

En conséquence de quoi, l’innovation survient plus facilement lorsque l’on croise des compétences, lorsque l’on confronte des personnes provenant d’équipes différentes et ayant des parcours et cultures différents. Cette idée selon laquelle on délègue notre innovation à la R&D est tout simplement improductive car on la réduit ainsi à un seul type sur un seul axe. On ne couvre ainsi qu’un 1/9ème du territoire potentiel.

Innovation = Prise de risque

Même si la cible du livre est plus Marketing, il est fortement recommandé de lire The Purple Cow du gourou marketing Seth Godin : The old ways (of marketing) are dead and being safe is now to risky

Vous ne pensiez tout de même pas que nous allions dédier un bulletin sur l’innovation, sans mentionner Kathy Sierra ? L’aversion pour le risque est le plus grand assassin d’innovations.

La citation suivante de Peter Drucker est plus généralement orientée business. Toutefois, elle s’applique parfaitement à la gestion de l’innovation dans l’industrie : Chaque fois que vous voyez une entreprise prospère dites vous qu’il y a derrière de courageuses décisions.

Favoriser l’innovation

Il existe un matériel important sur le sujet. Linda Naiman (Creativity at works) et cio.com s’accordent tous les deux sur la nécessité d’avoir une vision et une stratégie claires sur lesquelles aligner l’innovation.

Assurez-vous que la vision est clairement communiquée (Linda Naiman). Le travailleur de l’innovation doit être en mesure d’intégrer la stratégie d’entreprise dans son évaluation des chemins possibles d’innovation(cio.com)

La mise en place d’un climat favorable est aussi l’un des principaux facteurs de succès pour l’innovation.

La chose la plus importante pour l’innovation est de créer un climat propice à sa création. Certaines entreprises tentent d’établir ce climat: sécurité, participation, un climat dans lequel les gens sont impliqués et à l’aise pour exprimer de nouvelles idées. Curieusement cela  n’arrive pas assez souvent. (Ranjay Gulati – Ph.D., professeur de la Harvard Business School)

Un autre point essentiel est de susciter et d’encourager l’engagement.

La raison pour laquelle nous servons des repas à Google, c’est parce que les gens à l’heure du déjeuner se livrent, discutent et échangent des idées (D. Merrill).

Steve Jobs a conçu les immeubles Pixar. Au centre, il a créé cette grande cour intérieure, ce qui semble de prime abord être de l’espace perdu. Il y a mis les boîtes aux lettres, les salles de réunions, la cafétéria, et, plus insidieusement, et avec brio, les salles de bains au centre. Si bien que vous croisez tout le monde au cours d’une journée : le contact visuel se fait et puis les choses se passent. (Brad Bird)

L’apprentissage permanent (L. Neiman) et inter-disciplinaire est également fortement encouragé:

Si vous travaillez dans l’éclairage mais que vous voulez apprendre à animer, il ya une classe pour vous montrer animation. Il ya des classes dans la structure du récit, dans Photoshop, même dans le Krav Maga, l’auto-système de défense israéliennes. Pixar encourage vivement les gens à apprendre en dehors de leurs domaines de compétence, ce qui les rend plus complet. (Brad Bird à gigaom)

Une autre recette connue pour favoriser l’innovation est la recherche de la diversité. Encore une fois, L. Neiman et Douglas Merrill sont d’accord sur ce point, ainsi ce dernier affirme :

Nous vivons d’échanges, nous avons des discussions animées. Nous croyons que la meilleure façon de trouver une nouvelle idée est d’amener les gens différents à se pencher sur le même problème

Sir Ken Robinson dans sa légendaire conférence @TED sur la créativité, abonde dans ce sens : La créativité vient du mélange de différentes personnes aux parcours différents.

Gestion de l’innovation

La stratégie est claire, l’innovation est alignée, définie et encouragée. Qu’en est-il de sa gestion? Voyons d’abord avec  Steve Jobs comment systématiser l’innovation:

Le système est qu’il n’y a pas de système. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas de processus. Apple est une entreprise très disciplinée et nous avons d’excellents processus. Mais ce n’est pas tout : les processus ne vous rendent que plus efficace.

Il s’agit là d’une question assez délicate, cependant. Comme Douglas Merrill le fait remarquer:

L’innovation est une fleur fragile. N’essayez pas de le structurer. Chez Google, 20% du temps de nos ingénieurs est dédié à leur propre projet. Ils gèrent tout ce temps comme ils le veulent. Le chaos apporte la créativité.

L’innovation est une fleur si fragile qu’aucune mesure n’est suffisamment drastique pour la protéger. Brad Bird l’explique sans ambages :

Qu’est-ce qui porter atteinte à l’innovation ? Les personnes Passive Agressive. Des gens qui ne montrent pas franchement leurs pensées dans le groupe mais qui ensuite, subrepticement, savonnent les planches et sont toxiques. Je les identifient assez rapidement et je les fous dehors.

Aussi: attention à l’avocat du diable. Kathy Sierra cite Tom Kelley (The ten faces of innovation) de IDEO sur ce sujet :

Tom Kelley – directeur général de IDEO – estime que l’avocat diable est le plus grand exterminateur d’innovation dans l’Amérique d’aujourd’hui. En invoquant la puissance protectrice de l’avocat du diable on peut ainsi être incroyablement négatif et réduire toute idée en lambeaux, cela en semblant non seulement innocent mais aussi raisonné, équilibré, intelligent …

Et puis il y a la politique de la récompense. En résumé : récompenser l’innovation et ne pas blâmer l’échec. Douglas Merrill, Linda Neiman et cio.com sont tous d’accord sur cette approche, perpétuant la philosophie de William Mc Knight :

Un management qui critique de façon destructive lorsque des erreurs sont commises tue l’initiative. Et il est essentiel que nous ayons beaucoup de gens avec de l’initiative si nous voulons continuer à croître.

Diffusion de l’innovation

La diffusion de l’innovation est davantage basée sur la sociologie et la psychologie que sur la technologie (Everett RogersDiffusion of Innovation).

Voici la chose la plus rédhibitoire pour les innovateurs : à chaque fois qu’ils proposent quelque chose de nouveau, les principales obstacles à surmonter sont sociologiques : l’ego, l’envie, la peur, l’orgueil, la politique, la sécurité etc … Il s’agit là des réactions négatives les plus courantes .

Everett Rogers recommandent ainsi de répondre aux questions suivantes pour mesurer les chances d’adoption de votre innovation :

  • L’avantage relatif : quelle valeur peut-elle apporter?
  • Compatibilité : estimation des efforts nécessaire pour opérer la transition vers cette innovation
  • Complexité : quelle est la courbe d’apprentissage pour mettre la en oeuvre ?
  • Testabilité : Facilité d’essayer cette innovation ?
  • Observabilité : Les résultats sont-ils visibles ? Quantifiables ?

Myths of Innovation

Pour conclure, honorons notre impeccable tuteur en se référant à son livre Myths of Innovation. Il y répertorie ainsi les mythes plus fréquents :

  • L’innovation survient à la manière d’une épiphanie (exemple : la pomme sur la tête de Newton) : l’épiphanie est la pointe de l’iceberg créatif. Il est la conséquence d’un long processus de réflexion.
  • Les idées révolutionnaires tombent du ciel :  Les grandes idées sont souvent des combinaisons d’autres idées. De nouvelles idées radicalement disruptives ne se reposant sur aucune autre sont extrêmement rares
  • Les grands innovateurs sont généralement des non-conformistes à l’égo disproportionné. Okay, il y a Steve Jobs, le CEO de la décennie. Mais pour le commun des mortels, l’innovation est principalement un processus collaboratif
  • Les gens aiment les idées nouvelles. Les gens se sentent mal à l’aise, remis en cause face à la nouveauté : dans l’entreprise, l’innovation inspire la peur.
  • Les innovateurs savent, ils ont un plan. Beaucoup d’innovations sont des accidents. Le plus grand défi est de savoir quand l’innovation est valable.

4 Comments

  1. Merci pour cette belle synthèse qui va être une référence.
    Il y a beaucoup d’éléments qui m’intéressent, et notamment ce passage:
    Voici la chose la plus rédhibitoire pour les innovateurs : à chaque fois qu’ils proposent quelque chose de nouveau, les principales obstacles à surmonter sont sociologiques : l’ego, l’envie, la peur, l’orgueil, la politique, la sécurité etc …

    Encore ce fameux facteur humain qui reste la chose la plus difficile au monde à gérer…

  2. Bonjour et merci pour le commentaire.

    Oui cet aspect sociologique est primordial. Et quand on voit que la majorité de nos managers n’ont lu ni Crozier ni Drucker on se dit qu’on n’est pas sorti d’affaire.

    Dans la conférence de Berkun il parle du scientifique Max Planck. Celui ci raconte comment certaines théories doivent, pour pouvoir emerger, attendre la mort de scientifiques qui dominent la discipline en question.

    En effet : le pouvoir des forces en place pourrait vaciller si des nouvelles théories qui ne sont pas leur, qu’ils n’approuvent pas où qu’ils ne comprennent simplement pas pouvaient émerger et susciter l’adhésion de la communauté scientifique.

    C’est terrifiant.

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